Blockchain dans la publicité digitale : vers plus de transparence ?

Home Blends & Trends 27 décembre 2018

Aujourd’hui plus que jamais, le marché de la publicité digitale souffre d’un manque de transparence et d’un taux de concentration extrêmement élevé. Face à ces apories, une solution est parfois présentée comme providentielle : les technologies dites de blockchain. Alors, effet de mode ou véritable solution viable ? fifty-five fait le point pour vous.

Même le Paris Saint-Germain s’y est mis ! Nouveau thème à la mode dans l’écosystème digital, la blockchain tend presque à devenir un poncif. Tout le monde en parle et nombreux sont les acteurs ayant investi dedans (grands groupes, start-up, Etats et particuliers). Pour prendre un exemple récent, des parlementaires français préconisaient dans un rapport publié ce mercredi 12 décembre d’investir 500 millions d’euros dans le domaine pour « faire de la France une blockchain nation ». Pourtant, cette technologie reste encore bien obscure aux yeux de beaucoup et le terme même de blockchain est souvent utilisé de manière inexacte. C’est notamment le cas du projet du PSG énoncé ci-dessus. Alors, la blockchain, c’est quoi au juste ?

La blockchain, une technologie permettant des transactions décentralisées, désintermédiées et infalsifiables

Bien évidemment, la technologie de la blockchain est un sujet vaste et complexe. Il faudrait donc bien plus que quelques lignes pour en expliquer précisément le fonctionnement. De nombreux sites ou ressources existent sur le sujet et présentent de manière plus ou moins concise la technologie. Ici, l’enjeu pour nous est surtout d’en comprendre la logique pour mieux apprécier la plus-value que pourrait apporter cette technologie au secteur de la publicité digitale.

Une analogie pertinente et présentée de manière récurrente (notamment par le think tank Blockchain France) présente la blockchain comme « un grand livre comptable public, anonyme et infalsifiable ».

Il est important de noter que les technologies de type blockchain peuvent prendre des formes et endosser des usages très variés. Il est donc difficile d’en établir une classification exhaustive. Toutefois, nous pouvons en sortir quelques caractéristiques communes. Il s’agit globalement de technologies de stockage et de transmission d’informations, permettant la constitution de registres répliqués et distribués, sans organe central de contrôle, et sécurisés grâce au chiffrement. Ceci étant dit, ces technologies de blockchain peuvent prendre plusieurs formes : blockchain publique, blockchain privée, consortium, DLT…. Aujourd’hui de nouvelles technologies émergent encore (comme le Directed Acyclic Graph), rendant la blockchain quasiment obsolète. En somme, la blockchain est une technologie qui se construit et se cherche encore aujourd’hui.

Dans le cas qui nous intéresse, ce qu’on appelle communément blockchain est avant tout une combinaison technologique permettant des transactions décentralisées, désintermédiées et infalsifiables. Mais soyons plus rigoureux. Stricto sensu, le terme de blockchain désigne une base de données cryptées et organisées sous forme de blocs. Chaque bloc se juxtapose à un autre dans un ordre chronologique et comprend un nombre fini de données. Ainsi, chaque nouvelle opération ou transaction vient alimenter un nouveau bloc en données. La conséquence à cela est qu’aucun retour en arrière n’est possible : lorsqu’une information est ajoutée à la chaîne, il est quasiment impossible de la supprimer.

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Une fois ces points énoncés, on décèle trois intérêts majeurs à l’utilisation de la blockchain :

  • La possibilité de prouver, à un instant T, l’existence d’une donnée ou d’un document numérique, puisque le registre contenant les données est par essence infalsifiable. En effet, “tout élément inséré dans le registre est immuable”, comme le précise Côme Berbain. Il s’agit de la fonction d’horodatage. La blockchain peut donc s’avérer particulièrement utile concernant la création de brevets et la propriété intellectuelle par exemple.
  • En suivant la même logique, la blockchain offre la possibilité de prouver l’intégrité d’un jeu de données ou de documents numériques. Par extension, les données contenues par le registre sont elles-mêmes infalsifiables (ce qui ne signifie pas pour autant que ces données ne peuvent pas être erronées !).
  • Enfin, générer de la valeur en ligne, entre un réseau de pair-à-pair décentralisé, et ce sans intermédiaires, ce qui permet de détenir et transférer des actifs numériques sans jamais dépendre d’un intermédiaire ou d’acteurs tiers (l’exemple typique étant la blockchain transactionnelle, avec le bitcoin).

Et tout cela, à faible coût et de manière entièrement sécurisée ! L’avantage de la blockchain publique est donc de faciliter les échanges entre individus, sans asymétrie informationnelle ni partie prenante privilégiée.

La blockchain, réponse aux apories de l’industrie de la publicité digitale ?

Parallèlement à ce développement de la technologie blockchain depuis la fin des années 2000, le secteur de la publicité en ligne a lui aussi connu de nombreuses mutations.

Le premier exemple qui vous viendra à l’esprit est sûrement l’émergence fulgurante de la publicité programmatique, venant supplanter l’achat/vente au gré à gré d’espaces publicitaires. En effet, en 2017, le programmatique représentait 62 % du marché display alors qu’il ne correspondait qu’à 7 % des investissements en 2012 (Observatoire de l’ePub du SRI). S’étant ainsi imposé comme norme, le programmatique est pourtant loin d’être exempt de toute critique : en multipliant les intermédiaires, il a complexifié le parcours entre l’annonceur et sa publicité. Si bien qu’il existe aujourd’hui une opacité grandissante dans le processus, terreau fertile de la fraude publicitaire d’une part, et nuisant fortement à la brand safety d’autre part.

Ensuite, comme nous le rappelle le rapport 2018 de l’Autorité de la concurrence française, le marché de la publicité en ligne se caractérise par un taux de concentration extraordinaire. Au fil des années, les deux géants Facebook et Google se sont accaparé plus des trois quarts des parts de marché de la publicité en France et représentent à eux deux 70 % des investissements publicitaires dans le monde. De surcroît, la tendance ne semble pas prête de s’inverser pour le moment et l’on on observe un marché toujours plus duopolistique.

Ainsi, l’industrie de la publicité en ligne apparaît, aujourd’hui plus que jamais, comme un secteur opaque. Un secteur aux trop nombreux intermédiaires. Un secteur extrêmement concentré et au sein duquel la fraude tend à proliférer. Alors, vous l’aurez peut-être remarqué, ces défis correspondent parfaitement aux ambitions de la blockchain. La blockchain serait-elle donc la solution miracle, pour offrir plus de transparence à l’écosystème publicitaire ?

C’est en tout cas ce que pourrait laisser penser une étude menée par le groupe Blockchain Partner en décembre 2017. A mi-chemin entre think tank et boîte de conseil, cette agence publie régulièrement des études sur les applications potentielles de la blockchain pouvant répondre à des problématiques actuelles. Or, selon Blockchain Partner : « La publicité en ligne coche toutes les cases du secteur typiquement transformable par la blockchain : un secteur avec de multiples intermédiaires ; où une partie de la valeur est perdue tout au long de la chaîne ; et qui manque fortement de transparence ».

Plusieurs applications de la blockchain sont donc envisageables pour répondre aux défis de la publicité en ligne. Blockchain Partner en liste principalement quatre.

Les quatre chantiers de la blockchain dans le secteur de la publicité en ligne

Premièrement, il s’agit de pallier l’opacité croissante de l’environnement programmatique en favorisant une meilleure traçabilité de la publicité. Pour ce faire, la solution proposée est celle des tokens : on parle de « tokenisation » de la publicité. Un token (dont les intérêts sont précisés ici) est un actif numérique induplicable et infalsifiable qui peut être émis et échangé sur une blockchain. Ainsi, en associant à chaque publicité un token, l’annonceur pourra suivre en temps réel la transaction sur internet et savoir précisément comment son budget est utilisé. Il pourra savoir si sa publicité a été vue, par qui elle a été vue et connaître la manière dont son budget a été utilisé dans le processus. Une telle solution pourrait ré-instaurer de la confiance et de la fiabilité dans un secteur qui tend à en manquer. En outre, les annonceurs pourraient mieux analyser leurs coûts et optimiser l’utilisation de leur budget. A titre d’exemple, la start-up MetaX fait partie des entreprises pionnières espérant populariser la blockchain dans ce processus ; son crédo : « déverrouiller la blockchain pour la publicité numérique ».

Deuxièmement, la blockchain permettrait de désintermédier les échanges. Nous le disions plus tôt, la chaîne de valeur tend à s’allonger et se complexifier dans une industrie de la publicité digitale dominée sans partage par les géants Facebook et Google. Dans ce contexte, et grâce à la blockchain, des plateformes décentralisées pourraient être préférées aux ad exchanges centralisés traditionnels. Ainsi, annonceurs et éditeurs pourraient marchander directement de pair-à-pair sur ces plateformes. Certaines initiatives travaillent à rendre cette solution possible. C’est notamment le cas de la blockchain Adshare, qui prétend supporter « facilement 100 000 transactions par seconde ».

Troisièmement, des « smarts contracts » pourraient être utilisés afin d’entraver la fraude publicitaire. Le smart contract est un contrat s’appuyant sur la technologie de la blockchain. L’intérêt de ce contrat est qu’il est parfaitement infalsifiable et qu’il s’exécute automatiquement si et seulement si les termes du contrat préalablement définis sont respectés. Dans le domaine de la publicité en ligne, cela pourrait permettre aux annonceurs de s’assurer que leur publicité s’affiche sur un espace remplissant des conditions prédéfinies (pas sur un site à caractère pornographique ou malveillant par exemple). Les annonceurs s’assurent donc une exposition conforme à leur exigences. De ce fait, le processus de vente d’espaces publicitaires pourrait être automatisé sans pour autant nuire à la brand safety pour l’annonceur.

Enfin, un nouveau business model peut être envisagé avec le minage de cryptomonnaies. Le principe du minage (très bien expliqué ici) est assez simple. Il s’agit de mettre son ordinateur à disposition afin qu’une partie de sa puissance de calcul soit utilisée pour vérifier la validité d’un ensemble de transactions de la blockchain. Lorsque l’ensemble est validé, ce dernier constitue un bloc qui s’ajoute à la chaîne. En contrepartie, le « mineur » est rémunéré en cryptomonnaie. Ainsi, l’idée ici serait que l’éditeur fasse en sorte que les visiteurs de son site minent des cryptomonnaies pour lui. C’est notamment ce que le site Street Press expérimente depuis novembre 2017. Si ce business model ne saurait à lui seul être viable, il pourrait présenter un complément de revenu non négligeable pour des éditeurs de plus en plus dépendants de Facebook et Google.

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Du coup, la blockchain, solution miracle ou pas ?

Oui et non.

Si la technologie de la blockchain semble parfaitement répondre aux apories de l’industrie de la publicité en ligne, elle est, pour le moment, une solution difficile à mettre en oeuvre. En effet, toutes les initiatives qui ont déjà été proposées à ce jour ne sont qu’à un stade embryonnaire. Nul ne sait comment elles évolueront dans les années à venir. De plus, il est très peu probable que la technologie de la blockchain ne connaisse pas de régulation de la part des acteurs publics et des mutations sous l’impulsion de certaines entreprises dans un futur relativement proche : la blockchain telle que nous la connaissons aujourd’hui ne sera sûrement pas la même demain.

De plus, pour que ces initiatives puissent fonctionner, il faudrait nécessairement inclure toutes les parties prenantes évoluant dans l’écosystème de la publicité en ligne (annonceurs, éditeurs et internautes). Or, un tel chantier, qui pourrait demander une refonte globale du système actuel, paraît difficilement réalisable dans l’état actuel des choses.

Pourtant une réforme du secteur est nécessaire. Selon les mots de Stephan Loerke, directeur général de la Fédération mondiale des annonceurs (WFA), « Si nous ne nous mobilisons pas, la fraude sur la publicité digitale sera, en 2025, la seconde source de revenus des organisations criminelles, juste derrière les profits tirés du trafic de drogue ». Il est donc nécessaire de trouver une solution ! Ainsi, la solution blockchain, en tant qu’elle est crédible, doit être sérieusement envisagée.

 

Merci à Dramane Djikine pour sa participation à la rédaction de cet article.

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