Display programmatique 100% brand safe : mission impossible ?
Media Consulting 23 juin 2017Le débat sur la transparence de la publicité digitale ne tarit pas
Dernier acteur piqué au vif : Youtube, suite à l’enquête de The Times au Royaume Uni qui a révélé mi-mars que la plateforme laissait passer entre les mailles de ses filets de vérification de la publicité sur des contenus haineux et violents… Ce tollé a engendré au Royaume-Uni des réactions à chauds plutôt radicales. Chez les annonceurs d’abord : McDonalds, HSBC ou encore l’Oréal ont ainsi interrompu toutes leurs campagnes sur la plateforme. Chez les agences ensuite, avec la filière britannique d’Havas qui a même décidé de stopper la diffusion sur tout le réseau Google pour l’ensemble de son portefeuille client.
The Times titre : “Taxpayers are funding extremism“, en réaction à une publicité The Guardian – financé par l’état Anglais – diffusée sur une chaîne islamiste, qui en tire un revenu publicitaire
Au final, à l’échelle d’industrie du média digital, la polémique a permis de relancer le débat, déjà bien vif, de la transparence et de la qualité de la publicité digitale, cette fois sous l’angle de la brand safety. La difficulté soulignée par cette polémique est celle de garantir, à l’ère du programmatique et de l’audience planning, une diffusion publicitaire dans un environnement 100 % en adéquation avec les valeurs d’un annonceur.
Si Google est pointé du doigt ici comme un mauvais élève, cette notion de « sécurisation d’image de marque » ne se limite pas à la rigueur d’un diffuseur mais implique une chaîne plus complexe d’acteurs, tous responsables à leur niveau de la bonne qualité de la diffusion publicitaire. L’occasion, dans cet article, de comprendre exactement ce qui se cache derrière ce terme, et les éléments à disposition pour en minimiser le risque.
Brand safety, visibilité, dispositifs anti-fraude : des notions à bien distinguer
Afin d’éviter toute confusion, voilà une rapide remise à plat des notions impliquées lorsque l’on parle de qualité de la diffusion publicitaire :
- La visibilité : est-ce que mes impressions sont effectivement visibles et ont vraiment été vues ?
- L’audience exposée : est-ce que mes créations ont effectivement été délivrées à une audience réelle et non issues d’un faux trafic robotique ?
- Le contexte d’exposition : est ce que mes créations se sont affichées sur un environnement en adéquation avec ma marque et ses valeurs ?
La brand safety désigne la garantie de cette troisième brique uniquement. Typiquement, la brand safety c’est empêcher des bannières de s’afficher sur une vidéo au contenu extrémiste, violent, pornographique… Mais c’est aussi éviter pour un marque comme Nutella d’être diffusée sur un blog minceur ou pour pour un acteur comme Dayuse d’apparaître sur le site de La Croix. Mais la brand safety ne se limite pas au cadre éditorial, cela peut concerner un contexte lié à l’actualité : c’est donc aussi éviter qu’Air France diffuse ses bannières sur Le Monde le jour d’un crash d’avion. Finalement, la brand safety c’est tout simplement s’assurer d’avoir un œil omnipotent et infaillible sur tout son cadre de diffusion, capable d’anticiper ou de détecter le moindre écart.
L’écosystème programmatique ne facilite pas la tâche
Fut un temps où les annonceurs achetaient des emplacement publicitaires via leur agence média sur un site a priori affinitaire avec leur cible, puis recevaient une pige de mise en ligne, et pouvaient aller fièrement surfer sur le site en question pour admirer leurs encarts. Et puis l’achat programmatique est arrivé, déstructurant l’ancien modèle, multipliant les parcours et les intermédiaires entre l’annonceur et sa publicité, pour finalement s’imposer comme une norme du marché : 53 % des investissements display en 2016, avec un rythme de croissance de 51 % en 2016 par rapport à 2015 selon le SRI (soit pas moins de 639 millions d’euros sur le marché français).
Plus possible de prévoir les emplacements de diffusion des bannières, le choix de la diffusion est fait en quelques millisecondes selon un système de calcul d’enchères qui dépend de variables complexes. Le programmatique ne cible plus des emplacements mais des audiences mouvantes. L’analyse de la diffusion et de la performance publicitaire se complexifie : audiences, segments, scénarisation, achat de données… Les possibilités sont infinies, et les KPI pour en analyser la performance aussi.
Face à cette double dynamique de croissance et de complexification, les abus et les erreurs se sont multipliés, et le marché du média digital n’a pas forcément eu bonne presse : Youtube est aujourd’hui en ligne de mire sur la brand safety. Hier c’était Facebook qui était pointé du doigt pour son manque de rigueur, après avoir révélé s’être trompé dans la mesure de ses KPI vidéo depuis des années…Conséquence : les annonceurs sont de plus en plus méfiants et réclament plus de suivi et de partage d’information.
Alors, au-delà des scandales, la situation est-elle si grave en termes de brand safety ?
Aujourd’hui, la part des impressions digitales « risquées »* oscille entre 3 % et 10 % selon les pays : la France est relativement préservée avec un taux de 3,4 % alors que les Etats-Unis dépassent les 8 %, selon une étude réalisée par Integral Ad Science sur le second semestre 2016 (tous modes d’achat confondus).
Si le programmatique montre en moyenne des taux plus élevés, les achats en direct ne sont pas sans subir aussi le désagrément avec des taux loin du 0 % : 4,6 % aux Etats Unis sur les achats direct versus 9,5 % sur les achats programmatiques. On voit donc bien que le programmatique n’est pas l’unique responsable de la diffusion publicitaire à risque. Il a cependant l’intérêt de médiatiser le problème et d’amorcer une réflexion plus globale sur la régulation de l’industrie de l’achat média digital.
Alors, qui est responsable de la brand safety et comment se rapprocher du risque 0 ?
De la mise à disposition d’un encart publicitaire à la diffusion sur cet encart, la brand safety n’est pas une pratique infaillible à date, mais mérite une vigilance particulière et régulière de tous les acteurs de la chaîne de valeur de l’achat média. Voici quelques best practices opérationnelles afin de minimiser la diffusion à risque.
En amont, tout doit débuter par une vraie impulsion côté annonceur, en veillant bien à définir et communiquer ses exigences en termes de contenus. Des exigences de l’annonceur découle la stratégie d’achat définie par l’agence média : par exemple, il est possible de réaliser des private deals (accords entre un annonceur et un éditeur, délimitant l’inventaire de diffusion), ou de se brancher à des ad exchanges privés. Plus l’on passe par des réseaux fermés, plus le risque est théoriquement limité.
Le travail doit ensuite se faire côté
DSP, en assurant manuellement une partie du paramétrage de diffusion, avec la mise en place d’une liste de sites à blacklister par exemple. Chaque DSP contient son propre outil natif de vérification de contenu, et permet de réaliser un premier filtre. Cependant la méthodologie est souvent opaque et générique, et reste donc limitée.
En temps réel, il est possible d’utiliser des segments « pré-bid » fournis par des acteurs tiers de vérification. Les informations sur le cadre de diffusion sont analysées à chaque bid request, et recoupées avec de la donnée plus détaillée sur le site de diffusion et son contenu. L’avantage de cette solution est une réactivité en temps réel automatisée, là où le blacklisting reste fixe et optimisable manuellement. Des acteurs tiers du marché comme Adloox et Integral Ad Science proposent ces segments pré-bid, en général nativement intégrés dans les DSP, moyennant un coût supplémentaire ajouté au CPM. L’efficacité de ces solutions dépend de la capacité à récupérer des informations assez granulaires dans les pages pour être analysées et recoupées (mots-clés, contenus vidéos…). Sur Youtube par exemple, seuls les titres et commentaires peuvent être aujourd’hui détectés par certains acteurs, mais pas le contenu vidéo.
Enfin, en aval, le travail doit être complété par une vérification en continu, par le biais de rapports de diffusion disponibles dans les outils de tracking média, ou via des acteurs tiers de vérification comme MOAT, Integral Ad Science ou Adloox. Chez 55, en plus d’alertes automatiques, des experts média sont en charge de réaliser et analyser ces rapports de diffusion, afin de détecter et d’exclure des sites jugés risqués.
La brand safety repose donc fondamentalement sur une rigueur opérationnelle et la mise en place d’une bonne intelligence entre les différents acteurs
Malgré cela, le risque zéro n’existera évidemment jamais. Cependant, beaucoup de progrès peuvent encore être réalisés pour le minimiser, et il s’agit bien d’un enjeu pour l’industrie entière qui nécessite l’implication de tous : annonceurs, agences, éditeurs, outils et plateformes technologiques.
La « fausse bonne idée » (prônée par certains) consisterait à demander aux plateformes d’auto-réguler elles-mêmes les contenus et de décider de qualifier les cadres de diffusion comme acceptables ou non. D’une part, le sujet est trop propre à chaque marque, culture ou sensibilité : il semble donc impossible de le laisser aux mains d’un seul décideur (l’exemple du tableau de Courbet censuré par Facebook en est la preuve). D’autre part, ce n’est pas le rôle de ces géants technologiques que d’émettre ce type d’injonction, mais bien celui d’un juge tiers.
La bonne nouvelle, c’est que l’industrie se met progressivement en marche dans cette direction : Youtube a notamment annoncé travailler avec Integral Ad Science pour décloisonner son Walled garden, afin de mieux garantir la brand safety, et reconquérir la confiance des annonceurs.
* Selon une étude réalisée par Integral Ad Science sur le second semestre 2016 : « Brand risk refers to impressions that are flagged on pages that pose various levels of harm to brand image and/or reputation through association, based on seven core content categories: adult, alcohol, hate speech, illegal downloads, illegal drugs, offensive language, and violence. »
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