Intelligent Tracking Prevention : quand Apple renforce la position militante de Safari dans la jungle publicitaire

Data Architecture 8 décembre 2017

12 septembre 2017 : à l’occasion de sa keynote annuelle, Apple publie ses nouveaux Operating Systems (High Sierra sur desktop, iOS 11 pour le mobile). Comme à l’accoutumée, cette nouvelle mouture apporte son lot de nouvelles fonctionnalités astucieuses. Mais l’une d’entre elles, nommée Intelligent Tracking Prevention, se révèle être une révolution quant à la gestion des données des utilisateurs.

En effet, cette fonctionnalité embarquée au sein du navigateur d’Apple, Safari, fait désormais la chasse aux cookies en supprimant purement et simplement leurs données après une période de temps définie : 24h s’il s’agit de données collectées à des fins publicitaires, 30 jours pour celles utilisées à des fins fonctionnelles.

Apple décide de revoir entièrement le système de gestion des cookies de son navigateur

À l’arrivée d’un nouvel utilisateur sur un site, l’éditeur du site et ses partenaires déposent un cookie permettant de le reconnaître. Ils disposent dès lors de 24 heures pour utiliser ces données à des fins publicitaires ( campagnes display de retargeting par exemple). Passé ce délai, Safari découpe le cookie en deux fichiers distincts afin de séparer les informations collectées à des fins marketing de celles qui ont pour objectif d’assurer le bon fonctionnement du site : le fichier contenant les données publicitaires est alors supprimé du navigateur. Le cookie « restant », qui contient les données 1st party, est quant à lui conservé pendant encore 29 jours, avant d’être supprimé à son tour si l’utilisateur ne revient pas sur le site d’ici-là.

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Que ce soit sur Mac, iPad, iPhone ou PC, Safari est plébiscité par 14 % des internautes* : cette décision aura donc un impact non négligeable pour l’ensemble des acteurs du digital.

Les éditeurs de sites tout d’abord, pour qui cette mesure aura des conséquences sur le fonctionnement de leur site : déconnexion automatique du compte, suppression du contenu du panier et purge des wishlists pour les visiteurs qui ne seront pas revenus dans un délai de 30 jours. Des répercussions sont à prévoir également côté analytics, notamment sur les chiffres d’audience et d’engagement, puisque tous les utilisateurs de Safari n’étant pas revenus avant ces 30 jours seront considérés comme de nouveaux visiteurs.

Pour les annonceurs et les acteurs de la publicité également, avec une conséquence immédiate sur la mesure des campagnes publicitaires : Google mentionne déjà l’impact sur la précision des conversions pour le search par exemple, et invite ses clients à suivre l’évolution des conversions dans les prochaines semaines. Les possibilités en termes de retargeting seront aussi bien plus limitées.

Bien entendu, la plupart des outils média ( Ad server, DMP, attribution, DSP, bid manager…) seront affectés, puisqu’ils sont nombreux à se baser sur des cookies third-party. Les conséquences sont multiples :

  • Côté collecte, les conséquences seront importantes, notamment sur l’attribution des conversions et sur la profondeur de l’historique de données collectées dans le cadre des actions marketing.
    Concrètement, l’ensemble des impressions/clics intervenant plus de 24h avant la conversion ne seront plus pris en compte dans le chemin marketing de conversion. Donc moins de profondeur d’analyse et une vision de l’attribution qui ne se basera plus que sur les dernières 24h – ce qui est très faible et simplificateur pour des produits au cycle d’achat long (automobile/e-tourisme). Le canal le plus impacté sera sans aucun doute le display qui arrive souvent en amont des conversions avec une forte part d’attribution en post-impression (ou « post view »).
  • Côté activation, on est sur le même principe. L’activation (par exemple, retargeting par des bannières) devra se faire dans la journée suivant le point de contact initial entre la marque et l’utilisateur, ce qui rendra impossible le travail de certaines audiences sur le temps long. La collecte de signaux (ad-centric ou site-centric) au sein d’une DMP a en effet une durée de vie de 13 mois sur les autres navigateurs, quand Safari limite désormais cette durée de vie à 24h !
    Pour pérenniser leurs actifs data, des acteurs du CRM onboarding devront par exemple revoir leurs méthodes de matching entre identifiant CRM (l’email, en général) et cookie, en augmentant notamment la fréquence d’identification et de matching au sein des tables de correspondance.

Des conséquences média raisonnables au vu des parts de marché de Safari, mais un impact fort pour les acteurs de la publicité digitale

L’impact média sera donc non négligeable, mais pas dramatique au vu de la part de marché de Safari dans le monde. En revanche, cela va restreindre la connaissance sur des individus à fort potentiel d’achat (utilisateurs Safari). Côté marché, cela devrait défavoriser les petits acteurs au profit des «  walled gardens » qui fonctionnent en univers loggé (Facebook, Google). Une manière de contourner cette nouvelle pratique serait de développer des univers loggés ou de mettre en commun des ID/cookies qui soient cross-marques et/ou cross-technos afin d’éviter les pertes de données.

Cette mesure donc est vivement critiquée par les acteurs de la publicité digitale (dont l’IAB et l’ANA) qui, via la publication d’une lettre ouverte, accusent la firme de Cupertino d’imposer « ses propres standards opaques et arbitraires » à tous. Toutefois, pas question pour Apple de céder : la marque renvoie l’industrie à ses travers et renforce ainsi sa position sur le sujet – pour rappel, Apple avait fermé sa régie publicitaire en ligne iAd fin 2016, pour se concentrer sur la création d’une expérience utilisateur optimale (notamment à travers le respect de la vie privée).

Dès lors, tous les acteurs du web, éditeurs de sites et solutions publicitaires, doivent trouver des solutions permettant de limiter les impacts de l’Intelligent Tracking Prevention sur leurs activités. À court terme, en utilisant la possibilité de sauvegarde offerte par le stockage local (ou web storage) du navigateur pour y conserver les données 1st & 3rd party après chaque visite. Il suffira alors, dès la prochaine visite, de reconstruire le cookie avec ces données afin de les réutiliser. Idéale dans un premier temps, cette solution nécessitant une modification technique importante, pourrait avoir quelques impacts sur l’expérience utilisateur (ralentissement de l’affichage) et sur la collecte des données.

Il est donc nécessaire de trouver une solution plus viable à long terme : c’est d’ailleurs l’objectif que se sont fixé les associations professionnelles de la publicité avec le démarrage d’un chantier de redéfinition de l’identité publicitaire permettant ainsi d’exploiter les données collectées sur le web, quel que soit le navigateur utilisé.

* Part de marché des navigateurs par continent sur desktop & smartphone (source)

  • Safari sur smartphone : 18 %
  • Safari sur tablette : 60 %
  • Safari sur desktop : 5 %
  • Safari tous support : 14 %
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