Transparence et confiance dans l’écosystème publicitaire : ce que nous apprennent les rapports de l’ANA
Strategy Consulting 27 février 20172016, année charnière ?
En 2016, vingt ans après les premiers grésillements des modems dans les foyers américains, le montant des investissements publicitaires en ligne a pour la première fois dépassé les dépenses publicitaires consacrées à la télévision. En réalité, les États-Unis n’ont fait que rattraper le Royaume-Uni et la Chine, comme sont en passe de le faire d’autres pays dont la France1. À cela s’ajoutent deux faits notoires : a/ la publicité déserte les postes de télévision, les quatrièmes de couverture de magazine et les abribus pour s’inviter dans nos poches et jusque dans nos mains, avec 50 % des investissements publicitaires digitaux désormais dédiés aux supports mobiles2 ; et b/ la publicité dispose aujourd’hui de capacités de ciblage inédites avec l’adoption généralisée des modes d’achat programmatique (c’est-à-dire fondé sur l’utilisation de plateformes, de l’automatisation et/ou de technologies)3.
Parallèlement, le développement des ad blocks a atteint un niveau critique : on estime qu’un internaute américain sur quatre utilise un de ces logiciels qui bloquent l’apparition de publicités sur les écrans4. Or, le phénomène n’est pas près de se résorber puisque non seulement le desktop (c-à-d les ordinateurs), mais également le mobile (web et applications) sont concernés, et que le taux d’adoption continue de croître à grande vitesse, aux alentours de 30 % par an5.
Pour couronner le tout, un peu avant l’été, deux rapports commandés par l’Association of National Advertisers (ANA) à K2 Intelligence et Ebiquity ont lancé un pavé dans la mare en évoquant très ouvertement les questions de transparence (ou en l’occurrence, le manque de transparence) dans l’industrie publicitaire aux États-Unis. Ces rapports ont suscité de nombreux commentaires irrités de la part des « Big 6 », alors qu’en France on attendait la publication du décret étendant la loi Sapin6 à la publicité numérique (décret finalement publié il y a deux semaines). Mais que nous apprennent au juste ces deux rapports ?
La confiance agence/client, un secret de Polichinelle ?
La confiance est un sujet de préoccupation entre les marques et leurs agences. Jusqu’ici on ne parlait que de perception – une série d’enquêtes menées dans les années 2010 par l’ANA, la World Federation of Advertisers (WFA), ID Comms et Forrester Research avait clairement mis au jour un sentiment de méfiance. Or, les travaux de K2 Intelligence ont confirmé, sur la base d’entretiens et de l’examen attentif de contrats et de conversations email, que des pratiques non respectueuses du principe de transparence sont monnaie courante aux États-Unis. Selon ces travaux, les pratiques suivantes en particulier sont largement répandues :
- Des remises rétroactives sont accordées par les régies et les éditeurs aux agences (sous forme de cash, de frais facturés pour des services inutiles voire inexistants, d’abandons de créances ou de prises de participation) et leur existence est délibérément dissimulée aux annonceurs
- Des allocations budgétaires média sont décidées sur la base des intérêts des agences (ou des réseaux auxquels elles appartiennent), plutôt que ceux des clients.
Comment en est-on arrivé là ?
Trois raisons expliquent comment et pourquoi de telles pratiques ont pu se développer.
- Le monde du marketing et de la publicité est aujourd’hui d’une incroyable complexité, en particulier avec l’émergence des formats numériques et des nouveaux modes d’achat du média – ce qu’on appelle la « révolution brandtech ». Cela a entraîné une forme de désengagement de la part des annonceurs à l’égard de l’exécution (et parfois même, de l’élaboration) de leur stratégie média.
- La rémunération des prestations publicitaires s’est détériorée : les marques exercent une forte pression à la baisse sur les coûts, tout en imposant des conditions de paiement défavorables aux agences. Cela a poussé ces dernières à chercher de nouvelles sources de revenus.
- La concentration du marché signifie que des grands groupes de communication peuvent théoriquement prendre en charge tous les services allant de la création de marque à la gestion de campagnes et la mesure de performance. Les grands réseaux d’agences ont investi dans des entreprises présentes sur toute la chaîne de valeur, dans des agences créa comme des agences médias, dans des acteurs spécialisés dans l’analytics et la data science comme dans des trading desks et des régies. Cette tendance est décriée par certains comme « une rupture du principe de ‘séparation entre l’État et l’Église’ (entre agences et régies) », comme l’évoque le rapport de K2 Intelligence.
La théorie du « big brand »
Soit. Et après ? Selon Ebiquity, la solution réside dans l’auto-régulation, et c’est aux annonceurs de donner le ton.
Si vous commencez comme moi à compter le nombre d’occurrences de l’expression « Les annonceurs devraient… », vous allez peut-être vous demander qui peut bien vouloir devenir Directeur Marketing de nos jours. Certes, les Directeurs Marketing ne travaillent pas seuls, et ne sont pas les seuls à qui incombe la tâche de mener cette transformation décrite par Ebiquity en long en large et en travers. D’ailleurs, une des recommandations concerne « l’implication de la hiérarchie dans la gestion et l’exécution des contrats », par exemple sous la responsabilité du Directeur Financier, ainsi que la nomination d’un Directeur Média pour « piloter la gouvernance interne mise en place pour assurer la lisibilité des performances médias et la transparence dans la relation client/agence ».
Il va sans dire que chez 55, nous sommes pleinement en phase avec l’esprit du rapport, et c’est même quelque peu jubilatoire de voir écrit noir sur blanc certaines de nos convictions originelles, comme « Les annonceurs doivent reprendre le contrôle de leurs données et avoir la maîtrise des technologies publicitaires utilisées en leur nom ». Reste que la lecture du rapport a de quoi effrayer plus d’un professionnel, surtout quand c’est à soi qu’incombe la responsabilité finale de promouvoir les produits/services d’une marque en s’assurant que les messages sont communiqués de façon adéquate et maîtrisée.
Pour ne citer que quelques exemples :
« Chaque année (au minimum), les annonceurs devraient :
Rééxaminer tous les contrats (…)
(…)
Examiner et comprendre les changements survenus dans le paysage média, en particulier dans les médias numériques, et l’effet que cela peut avoir sur la gouvernance liée aux contrats »
Ils devraient également :
« Comprendre et (être capables de) identifier toutes les informations et données (propriétaires, etc.) qui alimentent le planning, ainsi que leur source
(…)
Comprendre les méthodologies, le niveau de granularité des données, les principes de sécurité et de confidentialité des données, ainsi que les limites qui caractérisent les logiciels des éditeurs de solutions publicitaires
(…)
Évaluer tous les facteurs faisant entrave à la transparence et pouvant être à l’origine de biais dans le fonctionnement des algorithmes utilisés pour établir des résultats
(…)
Comprendre pour chaque source les méthodologies de collecte de la donnée
(…)
Comprendre dans le détail et contrôler la technologie, l’utilisation des données et les processus entrant en jeu dans l’achat-média programmatique
(…)
Comprendre les outils, les technologies, les ressources, ainsi que les coûts associés à chaque prestataire de la chaîne d’achat »
Et ainsi de suite.
Prêt à relever le défi ? Bienvenue à bord
Le concept clef est le « stewardship » (permettez moi ce petit emprunt linguistique assez transparent, faute de trouver mieux). La tendance à l’internalisation actuellement à l’oeuvre s’inscrit dans la droite lignée de cette idée. Les marques doivent se ré-engager activement dans la mise en oeuvre de leur stratégie média : réexaminer minutieusement et mettre à jour les contrats, rapatrier et avoir la maîtrise de leurs données ainsi que des technologies utilisées pour exécuter leur stratégie média, mettre au point (ou à jour) des principes de gouvernance clairs, s’assurer que toutes les équipes en interne soient adéquatement formées pour les faire monter en compétence. Enfin, elles doivent clarifier le périmètre d’action et le rôle exact de leurs agences et s’assurer que la rétribution de ces dernières soit juste et équitable.
Cela nécessite la déconstruction de services jusqu’ici conçus comme un tout (unbundling diraient les Anglo-Saxons) – au moins sur le papier, et parfois dans l’exécution aussi, au nom de l’efficacité, de la transparence et de la confiance. Cela nécessite également des changements côté agence, à commencer par une réflexion sur ce qu’est l’agence du futur, ou plus généralement sur la façon dont l’industrie publicitaire devrait intégrer les questions de transparence au coeur de son fonctionnement (à ce propos, voir l’annonce de Facebook sur sa décision de donner plus de moyens aux marques au service de la transparence, notamment en donnant à des acteurs de mesure et de vérification tiers l’accès à ses plateformes). Enfin, cela requiert l’émergence d’un nouveau type d’acteur qui soit une extension naturelle des Directeurs Marketing/Média, dont le rôle est précisément de leur permettre de faire tout ce qui vient d’être décrit, et de rester en capacité de le faire au gré des changements du marché (concept anglo-saxon d’empowerment).
Leur rôle est d’éduquer, d’accompagner et de faire monter en compétence les équipes côté annonceur : les aider à y voir clair dans un paysage marketing aux frontières mouvantes grâce à des transferts de connaissances et de compétences, et à la mise en oeuvre des données et de mesures instaurant la transparence et clarifiant les responsabilités des uns et des autres. Leur vocation est d’épauler les Directeurs Marketing, de les aider à faire une meilleure utilisation des ressources disponibles : mise en place d’une stratégie de données robuste et audacieuse, coordination des différentes agences, éditeurs, etc. Ceci, dans le but de créer des expériences de marque exceptionnelles mettant en oeuvre la data, la créativité et la technologie avec succès. Agence data, digital consultancy, brandtech advisor, data company… peu importe comment vous nous appellerez, nous sommes là pour vous accompagner.
Lire les rapports originaux : l’enquête de K2 Intelligence, les recommandations d’Ebiquity